Bon puisque le blog a été ouvert un peu tard, je vais essayer d'écrire dans le sens chronologique les choses telles que je les ai écrite au moment des faits, sans ajouts ou modifications.
Vous pouvez lire ce message et celui qui suit à la suite, vous aurez le contenu de mon "carnet de bord" depuis mon départ jusqu'aux environs de maintenant.
On commence au 19 Septembre 2010 - Départ en avion de Paris
" Partir avec la nausée, qu'est-ce qui peut pousser quelqu'un à subir 9h de vol en seconde classe avec la lancinante envie d'évacuer par n'importe quels moyens le litre de vodka bue la veille...
Profiter, toujours, encore, la vie est une course. On diminue le temps de sommeil, on augmente le temps de soleil.
J'espère que celui là, qui tape déjà au hublot, continuera de me suivre du coin de l'œil, pour les quelques semaines à venir où il sera sans doute mon plus fidèle compagnon.
L'avion est déspespérement vide, il ne va pas être facile de faire connaissance avec qui que ce soit.
Pas de repose pieds sous les sièges, voilà sans doute une des raisons pour lesquelles ce billet était si peu cher.
-Siège 26K- , vous traversez et sur votre droite, sont les premiers mots d'une agréable hotesse, qui m'invite à partager sa lune de miel avec une carlingue d'A340.
Je pense qu'aucune personne ayant regardé Lost et étant normalement constituée ne peut monter dans ce genre d'avion sans avoir l'inavouable espoir que celui-ci s'écrase sur une ile apparament paradisiaque...
Au final, Lost, c'est un peu moi. C'est l'obligation de choisir entre subir l'exceptionnel ou tenter de maîtriser la normalité. Serais-je plus fort, plus juste, si la vie tente de me forcer à l'être ? Cette personne en est-elle une nouvelle, ou est-ce celle qui a toujours été là et qu'une occasion de s'émanciper ?
La si ridicule chorégraphie des hôtesses nous apprenant la sécurité en vol me ramène à des préoccupations plus terre-à-terre (et ce n'est pas le cas de le dire). Kamel Ouali aurait au moins eu le mérite de rendre tout cela plus vulgaire... et donc forcément plus intéressant.
A l'heure actuelle, la seule pensée qui me vient à l'esprit quand le rideau se ferme, c'est que ça ne serait pas si mal si Lost restait une série télévisée, au final...
Cela dit, mon hublot sans vis-à-vis avec vue sur aile droite, me laisse penser que je serai le premier à signifier à ma modeste audience, que nous serons tous sur le point de mourir en cas d'explosion d'une turbine.
Mais cela a moins de chances d'arriver que la probabilité de se faire rembourser une twingo, et intrinsequement encore bien moins de chances que la probabilité qu'Anna se fasse remarquer par son patron aujourd'hui.
C'est en écrivant ces mots que je mesure tout le poids du lavage de cerveau qu'impliquent ces publicités Renault sans aucune imagination. "
Mardi 21 Septembre - Arrivé à Macapa quelques heures plus tôt
" Voilà maintenant 2 jours que je suis parti.
LE manque se fait déjà ressentir. Le manque des amis, proches, famille, confort, activités, nourriture et eau à portée de mains.
Comme dit dans Into the Wild, la tache la plus importante pour la suite sera de tuer l'horrible européen qui sommeille en moi. Il faut y réveiller l'humain.
Je n'aurais pas mis longtemps à m'imaginer la réaction de mes parents si je rentrai au bout de 2 jours.. Seraient-ils déçus, contents ? Sans doute un mélange des deux... Et moi ? Comment me regarder dans une glace si je rentre en n'aillant tenu que 2 jours.
Quel est le seuil de temps où je pourrais estimer avoir rempli mon contrat ? Quel est le seuil de kms parcourus ?
Quand j'écris ces mots je ne sais déjà plus pourquoi je suis parti... Prendre des photos me semble déjà tellement utopiste à l'heure ou j'ai la trouille au ventre de faire quelques pas dehors...
C'est pourtant là qu'est la clé de tout : aller vers les autres... Mais pour l'instant cet objectif me paraît presque insurmontable.
Est-ce normal ? Suis-je encore l'enfant impatient qui veut tout savoir faire bien du premier coup ?
Et où me mèneront les échecs sur des terres dont je ne connais aucun code ?
Les objectifs sont pourtant simples : parvenir à retirer du cash, acheter eau et nourriture, une carte SIM, trouver un cyber café, rentrer chez moi en vie, sans me perdre, et sans me faire délester de ce précieux butin.
Chez moi étant le très coquet appartement d'une expatriée française rencontrée 40h plus tot à l'aéroport de Cayenne...
Un exemple concret de bonne rencontre.
Elle fête son anniversaire dans 3 jours, l'objectif premier sera de tenir jusque là. A défaut de rencontres intéressantes, il y aura sans doutes quelques verres à vider pour l'occasion.
Le seul point positif à l'heure actuelle, c'est une première nuit passée en prise directe avec l'ennemi n°1 dans cette partie du continent : le moustique. 3 piqures à signaler au réveil, pas de démangeaisons (pour l'instant).
Bref je suis un petit peu rassuré, moi qui ai l'habitude de subir les assauts de ces parasites à la place de tout le monde... J'ai tout de même commencé le traitement anti palud, on sait jamais, ça peut servir.
La chaleur et l'humidité sont omniprésentes, je sue à chaudes gouttes.
Je pense, dans la mesure du possible, devenir très ami avec les douches de ce continent."
Mercredi 22 Septembre - Macapa
" Le réveil est toujours difficile. Je fais plusieurs rêves chaque nuit, tous plus improbables les uns que les autres... Mais les personnes qu'ils m'évoquent ne sont, elles, pas improbables.
Le matin, vous ne voulez pas vous réveiller. Rester quelques minutes de plus pour côtoyer ses proches dans ses rêves, quelque soit le contexte, a une saveur particulière et rassurante.
Seulement il faut se réveiller, il faut affronter l'ennui, la peur, l'isolement. Il le faut car c'est le seul moyen, à terme, de trouver du plaisir à faire ce que je fais. Mais j'ai toujours cette idée dans la tête : et si je reste moins longtemps ici, et ici, et là, que je vais directement dans tel pays, j'aurais quand même fait le tour et je pourrais rentrer... Mais l'objectif sera-t-il atteint pour autant ?
Non, bien sur que non.
Le positif, puisqu'enfin il y en a : j'ai rencontré des gens très sympas et chaleureux. En fait c'est en fin d'après midi que tout se décante. Amélie rentre du travail, bières et cigarettes accompagnent nos conversations. On parle de tout et de rien, de nos expériences passées, futures... Elle me fait rencontrer des brésiliens.
Parmi eux, un natif du sud du Brésil, qui a étudié les lettres et est maintenant prof de Français dans un collège publique de Macapa. Il m'a proposé de venir participer à ses cours, ce que j'ai accepté avec plaisir. Il est également musicien, et a besoin de mon aide pour améliorer les paroles d'une chanson qu'il a écrite en français. Le début de la célébrité peut être... En bref, si Robinho avait des cheveux longs attachés en catogan, il devrait surement ressembler à cet Alexandre.
Le même soir, j'ai aussi rencontré un couple de Brésiliens, lui, César, a 42 ans, elle je ne sais pas. Il a apparemment beaucoup voyagé, que ce soit en Europe ou Amérique Latine. Nous avons discuté en espagnol, et cela m'a a peu près rassuré sur mes capacités à pouvoir tenir une conversation dans cette langue. Je lui explique dans quel contexte et dans quel état d'esprit j'ai entrepris mon voyage, et me répond « Buenas personas toman buenos caminos. Les dios van a protegerte. »
Traduction littérale : Les bonnes personnes prennent les bons chemins, les dieux te protègeront.
L'échange devient comique quand nous confessons tous les deux ne pas croire en Dieu.
J'en oublierai presque qu'en sortant de chez Amélie pour aller chez ces gens, quelqu'un venait de se faire tirer dessus à l'angle de la rue, environ à 20 mètres de nous. Comme pour vous rappeler qu'il faut savourer ces moments avec humilité.
Cela me fait aussi prendre d'autant plus conscience que prendre des photos va se révéler être une mission très difficile, et cela ne va pas s'arranger à Bélem.
Il me tarde quand même de voir à quoi ressemblent ces auberges de jeunesse remplies de voyageurs de tous ages et horizons dont tout le monde vente les mérites. Car s'il est très plaisant de rencontrer les locaux, je pense qu'il est indispensable que je trouve des compagnons de route. Des gens qui pensent plus à partir qu'à rester, à cette éternelle fuite en avant. "
Dimanche 26 Septembre - Macapa
" Voilà une semaine maintenant que j'ai quitté la France pour mon grand voyage. Si les premiers jours ont été très difficiles, que ce soit de part les conditions climatiques, les manques divers, l'impression de solitude, ou l'absence d'habitudes de vie, je pense à présent enfin pouvoir dire que je me sens bien ici.
Bien sur je ne parle pas portugais, je passe encore l'essentiel de mes journées chez Amélie, à regarder des films ou à dormir, et ne peux pas prétendre à chercher le contact avec les autochtones, mais une partie de la peur qui me rongeait les premiers jours semblent être partie à présent.
Grâce à Alexandre et Amélie, j'ai maintenant ce que j'appellerai un noyau dur de connaissances, avec qui je peux passer plusieurs heures avec ou sans elle. Que ce soit Cesar ou Alexandre, ils font tous les deux l'effort d'avoir des conversations avec moi, de me traduire ce que je ne comprends pas, de me présenter à leurs amis comme « mon ami Français, très bonne personne ».
Tout le monde ici est très chaleureux avec moi, on sent bien que les brésiliens aimeraient que plus d'étrangers viennent dans leur pays, et même s'ils aimeraient sans doute que les conditions de vie ici soient meilleurs, on les sent fiers de leur patrie. Ils déplorent tous l'image que peut avoir le Brésil à l'étranger, surtout vis à vis des européens.
Il est vrai que quand ils me posent la question de savoir ce qu'on retient du Brésil en France, par exemple, les 5 premiers sujets que je dirais seraient le foot, les filles, les favelas, la samba et Rio...
Et à chaque fois j'insiste particulièrement sur le coté in-sécuritaire qui transpire du Brésil. Ils disent eux mêmes que c'est malheureusement vrai, mais que les mauvaises personnes existent partout, il y en a peut être juste plus au Brésil.
Ce qui m'a choqué également, et en bien, c'est le coté multi générationnel ici qui est très présent. Il n'est pas rare de voir des vieux et des jeunes faire la fête ensemble. Il existe un immense respect vis à vis des doyens ici, quelque chose qui me semble de plus en plus absent en France.
Pour une majorité d'entre nous, ça ne viendrait à l'idée de personne d'inviter ses parents, oncles et tentes ou encore voisins retraités à une grosse beuverie le Samedi soir... Parce que nous pensons tous qu'on ne fait pas partie du même monde, qu'ils ne comprendraient pas, qu'il ne s'amuseraient pas, qu'ils jugeraient une génération tout entière, qu'ils ne savent « plus » faire la fête...
Ici accueillir un doyen semble être un honneur. Son verre sera toujours plein toute la soirée, sa parole écoutée avec attention, ses conseils suivis à la lettre. Je ne sais pas si le problème est culturel ou générationnel, peut être les deux, mais pour assister régulièrement à la présence de personnes de plus de 50 ans (voire bien plus) aux soirées ici, je ne peux pas m'empecher de penser que ces personnes ont encore beaucoup à apprendre aux gens de mon age.
Au programme de la semaine prochaine : il y aura bientôt le premier tour des élections, qui au Brésil sont un véritable événement. Le fait qu'elles soient à la fois locales, régionales et nationales doit surement y jouer beaucoup, mais il est intéresant de voir avec quelle ferveur les gens défendent leurs protégés.
Là où en France, aucun candidat ne semble jamais pouvoir soulever un peuple, ici une maison sur deux affiche fièrement sur sa façade le portrait d'un candidat avec le numéro de son bureau électoral. J'ai vu dans les soirées que j'ai fréquenté, des gens passer quelques minutes, juste pour essayer de convaincre quelqu'un de voter pour untel ou untel. On dirait plus une campagne pour supporter un club de foot que pour des politiques.
Mais c'est là où réside également le problème. L'opinion de chacun étant souvent clairement affichée et revendiquée, il n'est pas bête de penser que la corruption y voit la un terrain plus que fertile. Cette idée m'a été confirmée par Amélie. Et quand on sait qu'il y a quelques mois, environ 20 officiels parmi les plus importants de l'Amapa (région où se situe Macapa) ont été démis de leurs fonctions et mis en examens pour corruption et détournement de fonds (300 Millions de Real - Environ 130 Millions d'Euros), et que la plupart d'entre eux sont aujourd'hui libres de se représenter aux élections, il est logique de penser que les affaires de gros sous vont bon train derrière la ferveur populaire. "
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