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15.12.10

En tete a tete avec moi meme ...

On voit chaque minute s'écouler comme autant de kilomètres avalés par ces bus que l'on prend et qui deviennent des hôtels de fortune.
On parcourt des distances qu'en France on ne voudrait même pas faire en train. Tel est le prix à payer pour découvrir toute l'étendue du monde.
On se rend alors compte qu'on n'est pas grand chose, que notre temps imparti est si court rapporté à la trop grande humanité.
Vous commencez à apprécier le plat qu'on vous amène déjà le dessert, espérant que le repas vous aura passablement comblé au moment de payer l'addition.

Je n'ai plus aucune notion du temps ou de l'espace. Les jours ne signifient plus rien, je n'arrive même plus à les compter. Bientôt 3 mois et j'ai déjà parcouru l'équivalent de la moitié de l'Europe. Qu'il me parait loin le temps où on pestait pour 30 minutes d'embouteillage boulevard du jeu de paume, clim à fond, Radio Nova en fond.
Qu'il est loin le temps où passer une journée à rien faire n'avait pas d'importance. Où vous pouviez dépenser en un McDo ce qui vous suffirait ici à être nourri et logé pendant 1 jour.
Où vous pouviez payer cette bouteille de vodka que vous n'appréciez même pas le prix que vous payeriez pour manger viande et légumes pendant 1 semaine dans une ville comme Macapa.

Comme on réapprend à se lever le matin comme pour se persuader pour la première fois qu'une journée dure bien 24 heures
Qu'entendre la voix de sa mère devient un exutoire alors que c'était à contre coeur que parfois avant vous aviez une discussion.

Quand vous vous rendez compte qu'être seul ne dépend que de vous, que les rencontres n'attendent qu'une initiative.
Quand une discussion autour d'une bière transforme de la compagnie en compagnons de route, le temps de traverser quelques villes.
Quand il n'est plus question de temps investi ou d'intérêt, mais seulement de vivre l'instant défait de toutes notions matérielles, de toute urgence temporelle.
Quand on réapprend à être indépendant affectivement, qu'on quitte ces compagnons pour en trouver d'autres le lendemain.
Quand vous vous couchez avec l'envie de rester, quand vous vous réveillez avec l'envie de partir, parfois l'inverse.
Quand les jours se transforment en noms de ville, les distances en heures de bus, que les lits deviennent des bancs, des sièges inclinables, des hamacs.
Quand le luxe revient à choisir la climatisation plutôt que le ventilateur.
Quand finalement vous n'y prêtez même plus attention
Quand vous regardez vos photos et constatez qu'elles ne représentent pas 10% de vos meilleurs souvenirs.
Quand vous vous surprenez à commander du poisson dans un restaurant juste parce que vous avez mangé riz et poulet midi et soir la semaine précédente.
Quand vous regardez en arrière et que vous semblez avoir tant vécu, et que vous n'avez même pas atteint la moitié de votre voyage. Vous qui réviez de faire le tour du monde réinterprétez maintenant la dose de courage et d'indépendance nécessaire à une expédition de cette trempe.

Comme chaque pas vous enfonce un peu plus loin dans l'inconnu, dans le monde extérieur comme intérieur.
Que vous vous remettez à penser à votre enfance, votre famille, vos copains de primaire, votre première boom et puis le premier bisou.
La première cuite, le premier joint, les problèmes, la lancinante descente qui vous a amené à partir.
Votre passion pour l'herbe toujours plus verte chez le voisin, et de ces temps pas si anciens où vous étiez si naïfs.
La solitude qui vous fait penser et ces pensées qui vous force à murir, comme forçant vos yeux à s'ouvrir un peu plus au fur et à mesure que le monde défile sous vos pieds.
Repenser à ces choses qu'on pensait si graves, celles qu'on jugeait presque mortelles, ces filles pour lesquelles on est devenu fou, celles qu'on a aimé puis insulté, qu'on a maudit à jamais mais dont on ne peut s'empêcher de penser à nouveau, oubliant le passé et imaginant un futur nouveau.

On repense à ces gens qu'on a laissé sur le bord du chemin et qui auraient pourtant sûrement avantageusement remplacé quelques livres dans votre sac à dos.
On repense à sa famille dont on a eu la prétention de dire qu'on ne l'aimait pas.
On repense à tous ces caleçons qu'on a laissé trainé par terre pour inconsciemment provoquer le conflit avec sa mère.
On repense à toutes ces fois où on a croisé ce père qu'on jugeait absent et on se rend soudain compte qu'on ne s'était jamais demandé pourquoi.
On repense à cette ignorance feinte stratégiquement, à ces heures passées à lire aux toilettes, parce qu'on était pas capable de parler.
On repense à ce frère et cette soeur qui ont eu l'air d'exister seulement quand j'ai compris qu'ils en étaient dignes.

Que j'ai pu être prétentieux.
Que cette intelligence a pu m'autopersuader de tant de choses qu'aujourd'hui je renie.
La maturité n'est pas une chose que l'on s'octroie de droit, ou comme récompense d'une rigueur mentale à toutes épreuves.
On comprend alors qu'elle s'apprend comme une leçon, se conquiert comme un territoire.
Elle vous adoube mais vous ne pouvez la ravir de force.

Je me rends compte aujourd'hui à quel point j'ai pu me tromper sur beaucoup de choses.
Comme j'ai pu me persuader qu'en me pensant infaillible je l'étais effectivement devenu.
Comme je voudrais pouvoir m'excuser auprès de certain(e)s.
Pas revenir en arrière, car j'aurais certainement refait les mêmes erreurs, ou d'autres. Non, j'espère juste améliorer encore et toujours ces fondations qui m'ont en définitif toujours fait défaut.

J'espère juste me souvenir de ça suffisamment longtemps pour que ça ait de l'influence.
J'espère juste que les messages envoyés à mon cerveau sont correctement analysés, interprétés, enregistrés et réutilisés.
J'espère que ce rêve n'en est pas un.
J'espère que cette magnifique reprise de Tracy Chapman que j'entends à l'instant ne me fera pas oublier l'original.
J'espère que le moi original ne sera pas oublié par l'actuel. Car tout n'était pas à jeter.

Je fais une mise à jour de moi même, j'espère que, comme ces nouvelles versions qui brillent de mille feux, je ne serai pas au final rempli de bugs, au moment d'en utiliser toutes les ressources.
J'espère ne pas avoir créer un nouvel ersatz de moi même, comme pour réussir à me leurrer une fois de plus.

Je suis tellement fasciné par ce que je peux produire, penser, écrire depuis quelques temps que je me demande si ça avait toujours été là où si, à la manière de ces autistes, le choc a été tellement puissant que j'ai commencé à utiliser de nouvelles parties de mon cerveau.

J'aimerais que toute cette magie, toute cette inspiration ne me quitte jamais.
J'aimerais écrire des milliers de pages en ayant toujours quelque chose à dire, un message à faire passer, un style qui m'est propre.
J'ai tellement peur que tout s'arrête, qu'une fois la distance annihilée je redevienne le procrastinateur professionnel que j'aimais tant être.
Je suis tellement touché par tous ces compliments, par toute l'attention que ces écrits et ces photos suscitent que je ne peux plus faire autre chose.

Ce livre, il faut que je l'écrive, ces photos il faut que je les prenne.
Après la musique j'ai trouvé deux nouveaux moyens de communiquer, mais pour ceux là je n'ai pas à prendre de cours, pas à faire de gammes pendant des heures, pas de répétitions.
J'ai l'impression de pouvoir juste poser un stylo sur du papier et le reste coule de source.
J'ai juste à poser un doigt sur un bouton, à viser dans l'objectif, et l'essentiel est fait.
Les choses les plus instinctives sont souvent celles qui vous touchent le plus.
Peut être que c'est cette simplicité qui touche.
Je ne m'embarasse plus de fioritures, de faire semblant, de principes.
Je laisse libre cours à mon propre style sans bien savoir s'il existe.

J'écris ma propre histoire, il n'y a rien de plus simple en fait.
Comme l'a dit le vieux sage de Pipa, les mots deviennent des phrases, les phrases des histoires, les histoires des livres.
Il n'y a pas de mauvaise autobiographie, peut être seulement des mauvaises vies ou de mauvaises manières de les raconter.
Je n'entoure plus la mienne de guirlandes, en attendant que le Père Noël vienne y apporter sa bénédiction.
"L'honnêteté est la clé de tout"
Pour être intéressants soyez honnêtes.
Les masques finissent toujours par tomber et ceux qui les rattrapent sont en général déçus de voir la vraie face de leur ancien propriétaire.


Et puis après ce pavé, des nouveaux panoramas pour se vider la tête. (n'hésitez pas à les agrandir, la résolution n'est pas celle d'origine, mais ça devrait être pas mal quand même...)
Bien à vous, messieurs, dames.







A suivre, les aventures à Salvador et Chapada Diamentina, une petite photo de Pipa, et les premières photos de la Chapada...

8.12.10

"Je vais mourir" - De ces rencontres qui changent votre vie

Pour la mise en place, je suis maintenant à Praia da Pipa, une petite ville de bord de mer aux plages magnifiques.
J'ai tenté de passer quelques jours à Natal, une métropole non loin d'ici, mais après mon séjour dantesque à Jericoacoara je ne pouvais me résoudre à m'entourer de béton, ne serait-ce que quelques jours.
Roel, le belge que j'avais rencontré là bas m'avait fait une telle pub sur Pipa, comme sur l'auberge de jeunesse où je réside actuellement, que je ne pouvais pas faire autrement que d'y passer.

Et me voila, j'avais prévu de partir Dimanche, puis Mardi, puis ce matin, et au final IL FAUT que je parte demain, sinon je ne quitterai jamais cet endroit.
L'auberge tout d'abord, c'est un petit coin de paradis, dans le paradis lui même. Piscine, grande cuisine ouverte à disposition, home cinema, sanitaires en état parfait, énorme table à manger ou pour prendre l'apéro, plein de CDs de Bob Marley, bref c'est comme à la maison sauf qu'on est au Brésil.

Tous les gens que j'ai rencontré ici sont adorables, des australiens, irlandais, français, allemands, brésiliens, italiens... L'ambiance est conviviale, respectueuse. Ma meilleur expérience en termes d'auberge de jeunesse depuis le début de mon voyage. Le Belge n'avait pas menti.

L'endroit en lui même maintenant, une rue principale avec des dizaines de bars, tous superbes et atypiques. Rues pavées, grandes fresques sur certains murs, capoeira sur la place principale. Ca c'est pour la partie ville. 
Le meilleur est à venir : 7 plages différentes, accessibles à différents moments de la journée en fonction des marées, toutes plus belles les unes que les autres. On se croirait dans le film La Plage, sauf que là les suédois se font pas attaquer par les requins.

Et puis voila il y a la Praia dos Golfinhos, littéralement la plage des dauphins, accessible seulement à marée basse tot le matin, où si vous êtes chanceux (et si vous avez suivi mon voyage, vous savez que je n'ai pas à me plaindre de ce côté là) vous pouvez nager au milieu des dauphins.
Bon on est pas à Sea World non plus, il n'y pas de jolie blonde en combinaison moulante qui leur fait faire des saltos avec un sifflet, mais le simple fait de les voir sortir de l'eau à moins de 2 mètres de vous vous fait replonger en enfance, quand votre rêve ultime était de nager avec les dauphins.
Je peux donc rayer cette chose de ma To Do List, et vous connaissez maintenant l'adresse pour faire de même. Dites leurs que vous venez de ma part.

Bon l'aspect purement factuel des choses étant maintenant réglée, on peut passer au gros choc, au spectaculaire, à la rencontre ultime qui rendrait ridicules Robin Williams et Matt Damon dans Will Hunting.
C'est l'heure de narrer les peut être ultimes mots d'un homme qui va bientôt mourir et dont j'aurais été l'invraisemblable témoin pendant quelques heures d'un après midi nuageux.
Car si j'ai fait de nombreuses rencontres auparavant qui m'ont toutes, en un sens, bouleversé, à des degrés plus ou moins divers, je pense que celle là restera gravée pour très longtemps.
Attention, ça commence.

Praia do Amor - Praia da Pipa - 3 Décembre 2010

Aujourd'hui, première sortie à Praia da Pipa. Je me balade sur la plage, me pose au soleil, allume une clope.
A peine 3 minutes plus tard, un vieux type, barbe blanche et cheveux décolorés par le seul et soleil, vient vers moi. On discute vite fait, mon portugais s'améliorant on arrive à parler d'un peu de tout. Jusqu'à parler musique.
Je lui dit que je joue de la guitare. Il me demande si je suis musicien. Ne sachant pas trop quoi répondre, je dis que oui, plus ou moins. Il y a de la malice dans ses yeux et je ne sais pas trop ce que ça veut dire.
Il m'invite à le suivre, il a une guitare chez lui, sa maison est une sorte de bingalow à quelques mètres de là. Il vit retranché là, dans un coin paumé d'une des plages les plus paumées de Pipa. Bref je n'avais normalement aucune chance de le croiser, encore moins de lui parler, encore moins d'être invité chez lui. Mais bon je suis dans les petits papiers du destin et au final plus rien ne m'étonne vraiment maintenant.
Donc on arrive chez lui, il m'invite a m'asseoir, va chercher la guitare et me la tend. Je commence à jouer un truc à la con, et d'un coup le type me reprend la guitare des mains. Il enchaine sur un solo de blues, du genre il pourrait boire une bière de la main droite, fumer de la gauche et jouer avec ses pieds que ça sonnerait pas différemment.
Il me rend ensuite la guitare et me dit : "Tu m'avais dit que tu étais musicien, t'es pas musicien en fait !?"
Effectivement, vu comme ça, je suis le gamin de 5 ans qui réussit à peine à jouer Jeux Interdits sans fausses notes pour la première fois.
Il commence alors à essayer de m'expliquer quelques astuces mais ça va trop vite pour moi et il se décourage rapidement.
Il repose la guitare et commence à fumer clopes sur clopes. Entre chaque il me glisse d'un air grave : "Je vais mourir", le tout entrecoupé de suffocations. Le type ne bluff pas, il a l'air d'être sur la fin...
Et s'il allait mourir là juste sous mes yeux ? Il faut que je prenne toute la sagesse de cet homme avant que la faucheuse vienne allumer sa dernière cig.
Il commence à me parler de sa vie. Je lui demande d'où il sait jouer comme ça, il me répond : "Oh, quand Mike Jagger te demande de progresser pour pouvoir jouer avec lui, tu fais ce qu'il faut pour être au niveau..."
Première info : il a joué avec Mike Jagger. Au Brésil, et à New York. Ok.
"J'ai rencontré Bob Marley aussi, il est venu ici prendre des vacances. Quand j'ai serré sa main, j'ai senti une telle énergie que j'ai tout de suite compris que ce gars là était différent..."
Il allie le geste à la parole et me serre la main. Et là je me dis que je vis un moment incroyable. Je suis en train de serrer une main qui des années auparavant a serré celle de Mike Jagger et celle de Bob Marley. Inutile de dire que j'ai secoué la main du bonhomme pendant de longues secondes.
Je bois ses mots comme écoutant une prophétie. Il me pose des questions sur moi, sur ma famille, mes buts, mes origines... J'essaye de répondre avec honnêteté, car de toute façon je n'arrive pas à cacher quoi que ce soit à cet homme.
Il me dit que l'honnêteté est la clé de tout, qu'un homme honnête ne peut pas être mauvais. Il est persuadé que chacun peut réussir.
"Si tu fais quelque chose, fais le, n'essaye pas de le faire. Fais le jusqu'au bout, fais le fort, crois y et sois honnête avec toi et avec les autres."
Soudain, alors que nous sommes maintenant assis sur le sable à coté de sa maison, à regarder les vagues qui s'abattent sur les rochers, je crois parler à Yoda.
"Fais une chose ou ne le fais pas. Il n'y a pas d'essai."
Chacun de ses mots a l'air si vrai, si emprunt de sagesse. Ce type est en train de souffler sans le savoir sur les nuages qui assombrissaient mon monde.
Il m'invite à regarder les vagues, à comprendre la magie de leur création et de leur destruction, à comprendre la liberté du surfer qui apprend à vivre avec elles. C'est vrai qu'on pourrait passer une vie à regarder les vagues... Certains choses deviennent si simple quand on vous donne enfin le mode d'emploi.
A ce moment là je sors mon carnet et commence à écrire. Je ne veux rien oublier de cette rencontre, je veux graver sur le papier chacun de ses mots, car à ce moment là je sens que c'est une des ces rencontres qui peuvent changer une vie.
"Ah tu écris ?"
"Oui, j'écris sur mon voyage, mes rencontres, mes impressions. J'espère pouvoir utiliser tout ça comme base pour un livre que j'ai commencé à écrire."
"C'est bien, n'arrête jamais d'écrire, tu m'entends ? Jamais. Parce qu'un jour les pages se transforment en histoires, les histoires en livres, les livres en succès."
"Vous écrivez ?"
"Je suis en train d'écrire mon second livre, il devrait être adapté en film. Le premier a été vendu à 190 000 exemplaires..."
Ok, ce type sait donc tout faire, et ses mots prennent d'autant plus de sens.
Il me raconte qu'au début il était batteur, mais un accident de moto lui a fracturé les deux genoux et lui a coûté toutes ses dents du haut. A cause des genoux il n'a plus jamais pu jouer de batterie. Il s'est donc mis à la guitare...
Il me redit qu'il va mourir, comme s'il était désolé pour ça. Mais je peux pas y croire, cet homme qui a tant vécu ne peut pas s'éteindre sur une plage.
"Ce serait une belle mort..." Oui, sans doute...
"L'important, c'est de vivre ta vie, de la vivre bien, parce que c'est la seule que tu auras, alors ne perd pas ton temps, fais les choses, fais les bien. Profite de tous les moyens qui s'offrent à toi pour accomplir quelque chose. Prends l'argent qu'on te donne, gagne-en si tu peux, ne refuse rien par principe, tu n'a pas le temps pour ça... Continue d'écrire, fais de la guitare si tu veux, mais fais le pour devenir bon, par pour le principe de savoir jouer. Même si je pense que c'est déjà trop tard pour toi, si tu veux le faire, fais le.
L'important pour un artiste, ce n'est pas l'argent, ce n'est pas la célébrité, ce n'est pas la débauche et les femmes, l'important c'est de trouver des gens qui te diront : j'aime ce que tu fais. De devenir meilleur pour qu'il y en ai de plus en plus..."
Je ne peux pas dire un mot, il n'y a rien à dire, rien à ajouter. Il met chaque mot dans le mille, comme s'il savait à l'avance qu'il allait me rencontrer.
Je reste la comme un con à regarder les vagues, et chacun de ses mots les rend plus belles.
Accessoirement, il est aussi peintre, a 3 maisons à Pipa, une à Rio, à un bateau avec lequel il allait du Brésil à Miami, juste comme ça.
Il finit mon paquet de cigarettes, moi je n'ai même pas fumé. Je suis juste dans un autre monde et je n'arrive pas à redescendre.
Il se lève et je comprends alors que la leçon est finie. Il veut me payer pour les cigarettes et je refuse.
Il me dit : "Mais t'inquiètes pas, j'ai de l'argent, je fabrique de la cire pour les surfs (surf wax), j'en vends plusieurs centaines toutes les semaines à 1€ pièce..." le tout avec un grand sourire découvrant sa bouche vide de dents...
"Avec quoi vous fabriquez ça ?"
"C'est un secret..."
Il me donne l'accolade en me disant qu'il espère que son message aura pu m'aider ou m'apporter quelque chose. Je crois qu'il ne sait pas à quel point, en effet.
Je repars alors pour l'auberge en regardant une dernière fois les vagues dorées par le soleil couchant, le sourire aux lèvres.
A ce moment là je sais que tout le reste de mon voyage sera du bonus. J'ai trouvé, ici, sur une plage isolée de l'Est brésilien, une grande partie des réponses que j'étais parti chercher. Chacune de mes précédentes rencontres m'avaient mis sur la voie. Celle là, sous les traits d'un vieil homme, mélange entre Yoda, Bob Marley et Tyler Durden dans Fight Club, m'aura définitivement ouvert les yeux.
Quand je quitte la plage j'ai juste envie de prendre un avion et de rentrer chez moi. Comme une manière de dire au destin : j'avoue j'ai fuit, mais maintenant je suis prêt à rentrer et à faire face. Mais pas tout de suite, pas encore.
Car maintenant je ne cours plus après quelque chose avec l'absolue nécessité de la trouver pour légitimer ma décision de partir. Maintenant je sais pourquoi je suis parti, maintenant je sais pourquoi j'ai envie de revenir. 
Désormais je suis libre.

Pour l'anecdote, j'ai vérifié sur Internet si le mec disait vrai (il m'a donné son prénom & nom), et il m'a menti sur rien. True story.

Les écrits ci dessus ne sont qu'un bref résumé de toute notre conversation qui a duré presque 4 heures. Je n'ai pas pu tout écrire directement donc j'ai fait le reste de mémoire et j'ai surement oublié d'autres choses.

Ce que je retiendrai c'est qu'au delà des mots, j'ai réellement RESSENTI que quelque chose se passait. Quelque chose de différent qu'une simple conversation. Je n'irai pas jusqu'à parler de métaphysique mais ce n'est pas l'envie qui manque.
C'est comme si je me rencontrais moi, avec 40 ans de plus, avec la sagesse et l'expérience qui en découlent, capable d'expliquer à mon jeune moi ce qu'il faut faire et ne pas faire, comment il faut penser, comment il faut s'accomplir. Chacun de ses mots a trouvé en moi un écho comme jamais personne n'avait pu le faire dans ma vie entière.

18.11.10

Carnet de Bord - Belem, Marajo, Belem

Bon à vrai dire je ne sais plus trop où je m'étais arrêté mais tant pis.
Le premier fait marquant, qui servira ici de transition, sont les élections ici au Brésil. Plus particulièrement à Belem.
Pierre et Laure ont la chance d'habiter un immeuble idéalement situé sur la Doca, grande avenue percée d'un canal central où se déversent des eaux aux parfums chaleureux. Ce boulevard dessert, à la manière d'un poulpe (Gad Elmaleh ©), pas mal des quartiers centraux de Belem. 
Là où ça devient intéressant c'est que c'est au précisément au pied de l'immeuble où nous habitons que se réunissent les partisans d'un des candidats au poste de gouverneur local : Jatene.


Tous vêtus de jaune on pourrait croire qu'ils sont tous fans du tour de France ou que c'est une secte qui voue un culte au taxi de Oui-Oui. Mais il n'en est rien. Ces gens sont pour la plupart payés pour faire la propagande du candidat.
Et quoi de mieux pour faire la propagande que de diffuser de la musique ? Mais je ne parle pas de n'importe quelle musique, je parle bien sur de la Brega (la fameuse !). Pour ceux qui seraient arrivés en cours de route c'est une espèce de musique électronique au rythme saccadé genre reggaeton, mais avec une voix digitalisée et vraiment nasillarde. Bref dégueulasse.
Et quoi de mieux encore que de faire une propagande musicale, mais avec UNE SEULE musique ? Genre un jingle de 45 secondes qui tourne en boucle d'environ 18h à 23h voire plus tard dans la nuit certains soirs...

Les premiers jours mes oreilles profanes n'ont pas cerné toute l'étendue lobotomisante de cette douce mélodie, mais au bout d'une semaine vous avez la chanson dans la tête matin, midi et soir. Et le volume sonore est assourdissant. La nuit vous avez le choix entre crever de chaud ou entendre cette musique pourrie. Inutile de dire qu'on a branché les ventilateurs.


Bon venons en au fait. Les élections opposaient pour la ville de Belem, Jatene le jaune contre Anna Julia la rouge. Cette dernière était gouverneur sortant, d'après Pierre, une piètre élue, qui s'en est mis plein les poches au cours de son mandat (mais est-ce vraiment étonnant pour un politique au Brésil ?).

Et au niveau national, on avait droit à l'opposition Dilma (PT - parti de Lula, président sortant, et également parti d'Anna Julia - les rouges quoi) contre Serra (candidat de l'opposition - partis divers - dont le PSDB, les jaunes).
Les sondages donnaient Jatene large vainqueur à Belem, et Dilma large vainqueur au Brésil. Quoi qu'il arrive, à priori tout le monde ferait la fête le soir des résultats.
Et ça n'a pas loupé, Dilma a été élue et Jatene aussi. 

Le soir des résultats on a tenté une escapade sur la Doca, où une marée jaune avait envahi la rue. J'avais joué les têtes brulées en emportant mon appareil et j'ai pu prendre quelques clichés. (pas d'une qualité technique sensationnelle, beaucoup de flou, peu de lumière, et il a fallu être rapide pour éviter d'attirer les convoitises...)

 En 15 minutes nous avons atteint un cul de sac humain, impossible d'avancer plus à travers une foule épaisse d'hommes en jaune. Dans ce laps de temps Pierre a eu le temps de se faire délester de son téléphone, on a donc choisi de rapidement rebrousser chemin. 


Voila, nous avons par la suite pu dormir plus sereinement.

Pour la suite pas grand chose à signaler à Belem, la suite de mon séjour ici s'est continué par un interlude à Marajo, comme annoncé dans le précédent post.
Marajo, une ile grande comme la Suisse, qui marque mon retour au transport par bateau, chose qui m'avait bien évidemment beaucoup manqué depuis mon voyage à Bailique.
Mais cette fois-ci la phase "je tangue tellement que tout le monde crie de peur qu'on se retourne" n'a durée qu'une heure, et j'ai réussi à dormir pendant la moitié du temps. L'aller a donc été relativement rapide. Arrivée à la pousada Canto do Frances (tenue par un français, bizarre hein) une heure plus tard avec une grosse envie de sieste. Quand même. Il faut dire que j'étais levé depuis 5h30, que je suis arrivé sur l'ile à 9h30, qu'ensuite j'ai fait presque 1h30 de bus pour arrivé à Souré, la ville principale. Bref j'étais vraiment crevé et j'ai pas fait grand chose de rare de ma première journée, à part une brève balade en ville (très jolie au demeurant).
Le lendemain, visite en moto/à pied d'une fazenda (sorte de grande exploitation d'élevage d'animaux) pour voir les fameux buffles, ibis rouges, caïmans, caïpivaras, chevaux, rapaces et vautours divers, paresseux, perroquets... Un anaconda également, mais de loin, quand même. Assez impressionnant, des paysages magnifiques, des animaux partout, un calme général et apaisant.
L'après midi, sieste. Le soir je déguste une pièce de buffle cuisinée par le maître de maison, avec des frites maison. un REGAL. Sans doute la meilleur viande que j'ai mangé depuis que je suis capable de m'en souvenir. 
Le lendemain, farniente à la plage, ma première rencontre avec du sable brésilien d'ailleurs, que je vais côtoyer plus chaleureusement dans les semaines qui viennent avec ma descente du littoral atlantique. Une plage magnifique, ma première rencontre avec une -jolie- brésilienne en string également. Je sais, les stéréotypes vont bon train, mais ça fait quand même son petit effet, je vous assure. Je me soule à la bière une bonne partie de l'après midi, prends quelques photos et rentre.
Le soir je tente d'aller manger dans un restaurant que recommande le guide du routard. 
Le reste de la soirée est racontée à vif telle que je l'ai écrit dans mon carnet le soir même.

Marajo - 14/11/2010 - 23h11 - à la pousada

" J'ai fait ce soir l'une de ces rencontres fortuites qui vous laisse de beaux souvenirs dans la tête. De celles qui vous laissent à penser que le karma (Genevieve Simon ©), la chance, l'hospitalité, le partage, ne sont pas juste des mots qu'on trouve à divers endroits du petit Robert. Non, car la rencontre de ce soir est de celles que l'on provoque. De celles qui, quand vous avez l'impression que la nostalgie, le confort ou la routine vous font stagner, voire régresser, celles là vous donnent le coup de fouet pour repartir. Comme pour vous prouver une fois de plus que c'est possible.

Venons en au fait. Je suis à Marajo, 19h30, j'ai faim. J'ai très mal dormi la veille, pas réveillé pour le petit dej, pas plus pour le grand dej. Bref j'ai la maxi dalle. Je ne m'y suis pas pris assez tôt pour demander à Thierry, proprio français de la pousada (et ex photographe de pub, décidément c'est la diaspora ici...), de me préparer un morceau de buffle que j'ai eu l'occasion de manger la veille.

Pour résumer, si je veux manger, il faut que j'aille trouver un resto parmi les rues en terre battue et quasi sans éclairages de Soure. Ce qui en soit n'est pas forcément difficile. Seulement quand ladite ville est remplie de semi-fanatiques religieux préparant le Cirio à coup de pétards surement importés, vu leur taille, d'une ex république soviétique.
Donc c'est la guerre, et dans cette guerre, moi je suis le petit blanc qui veut un bout de viande.

J'ai la brillante idée de recopier l'adresse du seul resto de la ville recommandé par le Routard. La mission est donc de trouver une moto taxi pour m'y rendre.
Je traverse donc la moitié de la ville, trouve une moto taxi, me fait déposer au resto, qui, pour la seule fois de l'année est réservé en totalité par les membres d'une église évangéliste locale, que la bienséance m'empêchera d'appeler secte.
On rebrousse donc chemin et le taxi m'emmène à un resto à l'opposé exact de ma pousada, genre paumé. Je commande mon steak de buffle bien mérité. Je le demande "muito mal pasado" (littéralement très pas cuit), et on me sert un résidu de moquette carbonisé. Mais j'ai trop faim et 30 minutes plus tard me voila reparti.

J'ai la flemme de retraverser la ville pour trouver un taxi et choisit donc de rentrer à pied. Grand bien m'en a pris puisque au détour d'une rue, une façade kitshissime aux allures de tract de propagande catholique (mais en mur) m'attire le regard. Mais ce n'est pas un relent soudain de foi qui s'est emparé de moi, c'est juste que devant, il y a deux vieux qui jouent de la guitare. Il y a une photo à prendre me dis-je. Sauf que je me dis ça 200 fois par jour et que j'en prends 2 dans le meilleur des cas.
Sauf que là, touché par la grâce (ou la graisse, du steak, je ne sais pas), j'y vais, demande à la femme qui se tient à leurs côtés si je peux prendre une photo. Elle répond oui, tout sourire. La photo est prise, j'en prends même plusieurs, je fais le dingue.

Une conversation s'entame en portugais. J'envoie mes meilleurs conjugaisons et ça fait mouche, on m'invite à m'asseoir.
S'en suivent 1h30 de musique brésilienne, chantée et jouée à la guitare par les deux vieux, qui devaient avoir 150 ans à eux deux.
Je participe tant bien que mal quand on me tend la guitare. D'autres gens rejoignent l'assemblée, les femmes dansent, les hommes chantent et jouent. On me sert des bières sans que je n'ai rien à demander, on me ressert même quand je dis non.
La pluie interrompt finalement notre petit concert, l'occasion pour moi de plier bagage. 
Un des deux hommes me propose de me raccompagner et les propriétaires de la maison m'invite à y revenir dès que possible.

Sur le chemin du retour, je complimente l'homme sur sa voix et son jeu à la guitare. Il me renvoie poliment les éloges.
Arrivés devant la pousada, nous nous donnons l'accolade sous les yeux de Jedilson, le guide qui m'a emmené à la fazenda la veille.
Une fois rentrés, il me dit : "- Ah, l'homme qui t'a raccompagné tu le connais ? - Non. - Et ben c'est le compositeur le plus connu de Marajo. "
Bref si le hasard existe, lui et moi avons du être bons amis dans une vie antérieure. "

Voila donc. Le lendemain matin, le Cirio se déroule sous une énorme averse qui durera toute la matinée, impossible donc de prendre des photos, malheureusement. Mais c'est très impressionnant, les gens avaient tous décorés les façades de leurs maisons pour l'occasion (allant de la banderole type manifestation à la composition florale incroyable) et malgré la pluie ça restera un grand souvenir.

Le bateau pour Belem est à 15h, Thierry me conseille de ne pas attendre le bac qui fait la traversée Soure/Salvaterra (Soure est de l'autre coté d'un fleuve, qu'il faut traverser pour revenir au port d'où partent les bateaux pour le continent), puisqu'avec le Cirio il risque d'être plein à craquer et les places dans le bus au débarquement risquent d'êtres prises d'assaut. Il me conseille donc de prendre une petite barque à moteur et de traverser le fleuve avant le départ du bac.
Grossière erreur. Je me plante de barque, elle ne va pas au débarcadère ou attendent les bus pour le port. Pire encore, elle part au final après le bac, qui est au final presque vide. La double arnaque. Je me sens très con, à ce moment là.
Et je me dis surtout que vu l'horaire il y a des chances pour que je loupe mon bateau si je ne trouve pas un bus ou un taxi rapidement.

Je débarque donc à Salvaterra même, qui à cette heure là est désespérément vide. Je marche, demande comme je peux aux quelques passants où est-ce que passent les bus, personne ne me répond la même chose, je commence à paniquer, un peu.
Finalement après 15 minutes de déambulation je finis par tomber sur un relai taxi, un mec accepte de m'amener au port pour 40 reals (après négociations, le bandit avait du voir mon incroyable teint blanc de touriste lambda). C'est cher mais je n'ai pas le temps de jouer au con à attendre un hypothétique bus.

Je monte dans une épave, pardon une voiture. Le mec verrouille les portes 5 min après le départ. Je me demande si ça ne sentirait pas la grosse quenelle des familles. Je scrute le moindre panneau pour vérifier qu'on est sur la bonne route, étant donné qu'on ne croise aucune voiture dans un sens ni dans l'autre, ni tous les fameux bus qui devaient attendre le bac. 
La pression monte et au bout d'un moment, on passe devant un panneau qui me confirme qu'on va bien à Camara, le port. Soulagement.
J'arrive finalement 20 minutes avant le départ du bateau, coup de maître. 

Le retour sera beaucoup plus calme et stable que l'aller, le bateau étant plus massif et plus moderne. J'ai même eu l'occasion de m'assoupir devant un match de foot. Grand luxe.
Retour sur Belem et reprise de la vie normale. Je fais face en ce moment à une grosse phase nostalgique qui met relativement du temps à passer et c'est assez perturbant puisque je n'avais pas ressenti ça depuis ma première semaine difficile à Macapa. Mais je m'accroche et me dit que comme tout le reste, ça finira par passer.
Mon départ est prévu pour la semaine prochaine, direction São Luis de Maranhão et le parc national des Lençois, apparemment fabuleux.