8.12.10

"Je vais mourir" - De ces rencontres qui changent votre vie

Pour la mise en place, je suis maintenant à Praia da Pipa, une petite ville de bord de mer aux plages magnifiques.
J'ai tenté de passer quelques jours à Natal, une métropole non loin d'ici, mais après mon séjour dantesque à Jericoacoara je ne pouvais me résoudre à m'entourer de béton, ne serait-ce que quelques jours.
Roel, le belge que j'avais rencontré là bas m'avait fait une telle pub sur Pipa, comme sur l'auberge de jeunesse où je réside actuellement, que je ne pouvais pas faire autrement que d'y passer.

Et me voila, j'avais prévu de partir Dimanche, puis Mardi, puis ce matin, et au final IL FAUT que je parte demain, sinon je ne quitterai jamais cet endroit.
L'auberge tout d'abord, c'est un petit coin de paradis, dans le paradis lui même. Piscine, grande cuisine ouverte à disposition, home cinema, sanitaires en état parfait, énorme table à manger ou pour prendre l'apéro, plein de CDs de Bob Marley, bref c'est comme à la maison sauf qu'on est au Brésil.

Tous les gens que j'ai rencontré ici sont adorables, des australiens, irlandais, français, allemands, brésiliens, italiens... L'ambiance est conviviale, respectueuse. Ma meilleur expérience en termes d'auberge de jeunesse depuis le début de mon voyage. Le Belge n'avait pas menti.

L'endroit en lui même maintenant, une rue principale avec des dizaines de bars, tous superbes et atypiques. Rues pavées, grandes fresques sur certains murs, capoeira sur la place principale. Ca c'est pour la partie ville. 
Le meilleur est à venir : 7 plages différentes, accessibles à différents moments de la journée en fonction des marées, toutes plus belles les unes que les autres. On se croirait dans le film La Plage, sauf que là les suédois se font pas attaquer par les requins.

Et puis voila il y a la Praia dos Golfinhos, littéralement la plage des dauphins, accessible seulement à marée basse tot le matin, où si vous êtes chanceux (et si vous avez suivi mon voyage, vous savez que je n'ai pas à me plaindre de ce côté là) vous pouvez nager au milieu des dauphins.
Bon on est pas à Sea World non plus, il n'y pas de jolie blonde en combinaison moulante qui leur fait faire des saltos avec un sifflet, mais le simple fait de les voir sortir de l'eau à moins de 2 mètres de vous vous fait replonger en enfance, quand votre rêve ultime était de nager avec les dauphins.
Je peux donc rayer cette chose de ma To Do List, et vous connaissez maintenant l'adresse pour faire de même. Dites leurs que vous venez de ma part.

Bon l'aspect purement factuel des choses étant maintenant réglée, on peut passer au gros choc, au spectaculaire, à la rencontre ultime qui rendrait ridicules Robin Williams et Matt Damon dans Will Hunting.
C'est l'heure de narrer les peut être ultimes mots d'un homme qui va bientôt mourir et dont j'aurais été l'invraisemblable témoin pendant quelques heures d'un après midi nuageux.
Car si j'ai fait de nombreuses rencontres auparavant qui m'ont toutes, en un sens, bouleversé, à des degrés plus ou moins divers, je pense que celle là restera gravée pour très longtemps.
Attention, ça commence.

Praia do Amor - Praia da Pipa - 3 Décembre 2010

Aujourd'hui, première sortie à Praia da Pipa. Je me balade sur la plage, me pose au soleil, allume une clope.
A peine 3 minutes plus tard, un vieux type, barbe blanche et cheveux décolorés par le seul et soleil, vient vers moi. On discute vite fait, mon portugais s'améliorant on arrive à parler d'un peu de tout. Jusqu'à parler musique.
Je lui dit que je joue de la guitare. Il me demande si je suis musicien. Ne sachant pas trop quoi répondre, je dis que oui, plus ou moins. Il y a de la malice dans ses yeux et je ne sais pas trop ce que ça veut dire.
Il m'invite à le suivre, il a une guitare chez lui, sa maison est une sorte de bingalow à quelques mètres de là. Il vit retranché là, dans un coin paumé d'une des plages les plus paumées de Pipa. Bref je n'avais normalement aucune chance de le croiser, encore moins de lui parler, encore moins d'être invité chez lui. Mais bon je suis dans les petits papiers du destin et au final plus rien ne m'étonne vraiment maintenant.
Donc on arrive chez lui, il m'invite a m'asseoir, va chercher la guitare et me la tend. Je commence à jouer un truc à la con, et d'un coup le type me reprend la guitare des mains. Il enchaine sur un solo de blues, du genre il pourrait boire une bière de la main droite, fumer de la gauche et jouer avec ses pieds que ça sonnerait pas différemment.
Il me rend ensuite la guitare et me dit : "Tu m'avais dit que tu étais musicien, t'es pas musicien en fait !?"
Effectivement, vu comme ça, je suis le gamin de 5 ans qui réussit à peine à jouer Jeux Interdits sans fausses notes pour la première fois.
Il commence alors à essayer de m'expliquer quelques astuces mais ça va trop vite pour moi et il se décourage rapidement.
Il repose la guitare et commence à fumer clopes sur clopes. Entre chaque il me glisse d'un air grave : "Je vais mourir", le tout entrecoupé de suffocations. Le type ne bluff pas, il a l'air d'être sur la fin...
Et s'il allait mourir là juste sous mes yeux ? Il faut que je prenne toute la sagesse de cet homme avant que la faucheuse vienne allumer sa dernière cig.
Il commence à me parler de sa vie. Je lui demande d'où il sait jouer comme ça, il me répond : "Oh, quand Mike Jagger te demande de progresser pour pouvoir jouer avec lui, tu fais ce qu'il faut pour être au niveau..."
Première info : il a joué avec Mike Jagger. Au Brésil, et à New York. Ok.
"J'ai rencontré Bob Marley aussi, il est venu ici prendre des vacances. Quand j'ai serré sa main, j'ai senti une telle énergie que j'ai tout de suite compris que ce gars là était différent..."
Il allie le geste à la parole et me serre la main. Et là je me dis que je vis un moment incroyable. Je suis en train de serrer une main qui des années auparavant a serré celle de Mike Jagger et celle de Bob Marley. Inutile de dire que j'ai secoué la main du bonhomme pendant de longues secondes.
Je bois ses mots comme écoutant une prophétie. Il me pose des questions sur moi, sur ma famille, mes buts, mes origines... J'essaye de répondre avec honnêteté, car de toute façon je n'arrive pas à cacher quoi que ce soit à cet homme.
Il me dit que l'honnêteté est la clé de tout, qu'un homme honnête ne peut pas être mauvais. Il est persuadé que chacun peut réussir.
"Si tu fais quelque chose, fais le, n'essaye pas de le faire. Fais le jusqu'au bout, fais le fort, crois y et sois honnête avec toi et avec les autres."
Soudain, alors que nous sommes maintenant assis sur le sable à coté de sa maison, à regarder les vagues qui s'abattent sur les rochers, je crois parler à Yoda.
"Fais une chose ou ne le fais pas. Il n'y a pas d'essai."
Chacun de ses mots a l'air si vrai, si emprunt de sagesse. Ce type est en train de souffler sans le savoir sur les nuages qui assombrissaient mon monde.
Il m'invite à regarder les vagues, à comprendre la magie de leur création et de leur destruction, à comprendre la liberté du surfer qui apprend à vivre avec elles. C'est vrai qu'on pourrait passer une vie à regarder les vagues... Certains choses deviennent si simple quand on vous donne enfin le mode d'emploi.
A ce moment là je sors mon carnet et commence à écrire. Je ne veux rien oublier de cette rencontre, je veux graver sur le papier chacun de ses mots, car à ce moment là je sens que c'est une des ces rencontres qui peuvent changer une vie.
"Ah tu écris ?"
"Oui, j'écris sur mon voyage, mes rencontres, mes impressions. J'espère pouvoir utiliser tout ça comme base pour un livre que j'ai commencé à écrire."
"C'est bien, n'arrête jamais d'écrire, tu m'entends ? Jamais. Parce qu'un jour les pages se transforment en histoires, les histoires en livres, les livres en succès."
"Vous écrivez ?"
"Je suis en train d'écrire mon second livre, il devrait être adapté en film. Le premier a été vendu à 190 000 exemplaires..."
Ok, ce type sait donc tout faire, et ses mots prennent d'autant plus de sens.
Il me raconte qu'au début il était batteur, mais un accident de moto lui a fracturé les deux genoux et lui a coûté toutes ses dents du haut. A cause des genoux il n'a plus jamais pu jouer de batterie. Il s'est donc mis à la guitare...
Il me redit qu'il va mourir, comme s'il était désolé pour ça. Mais je peux pas y croire, cet homme qui a tant vécu ne peut pas s'éteindre sur une plage.
"Ce serait une belle mort..." Oui, sans doute...
"L'important, c'est de vivre ta vie, de la vivre bien, parce que c'est la seule que tu auras, alors ne perd pas ton temps, fais les choses, fais les bien. Profite de tous les moyens qui s'offrent à toi pour accomplir quelque chose. Prends l'argent qu'on te donne, gagne-en si tu peux, ne refuse rien par principe, tu n'a pas le temps pour ça... Continue d'écrire, fais de la guitare si tu veux, mais fais le pour devenir bon, par pour le principe de savoir jouer. Même si je pense que c'est déjà trop tard pour toi, si tu veux le faire, fais le.
L'important pour un artiste, ce n'est pas l'argent, ce n'est pas la célébrité, ce n'est pas la débauche et les femmes, l'important c'est de trouver des gens qui te diront : j'aime ce que tu fais. De devenir meilleur pour qu'il y en ai de plus en plus..."
Je ne peux pas dire un mot, il n'y a rien à dire, rien à ajouter. Il met chaque mot dans le mille, comme s'il savait à l'avance qu'il allait me rencontrer.
Je reste la comme un con à regarder les vagues, et chacun de ses mots les rend plus belles.
Accessoirement, il est aussi peintre, a 3 maisons à Pipa, une à Rio, à un bateau avec lequel il allait du Brésil à Miami, juste comme ça.
Il finit mon paquet de cigarettes, moi je n'ai même pas fumé. Je suis juste dans un autre monde et je n'arrive pas à redescendre.
Il se lève et je comprends alors que la leçon est finie. Il veut me payer pour les cigarettes et je refuse.
Il me dit : "Mais t'inquiètes pas, j'ai de l'argent, je fabrique de la cire pour les surfs (surf wax), j'en vends plusieurs centaines toutes les semaines à 1€ pièce..." le tout avec un grand sourire découvrant sa bouche vide de dents...
"Avec quoi vous fabriquez ça ?"
"C'est un secret..."
Il me donne l'accolade en me disant qu'il espère que son message aura pu m'aider ou m'apporter quelque chose. Je crois qu'il ne sait pas à quel point, en effet.
Je repars alors pour l'auberge en regardant une dernière fois les vagues dorées par le soleil couchant, le sourire aux lèvres.
A ce moment là je sais que tout le reste de mon voyage sera du bonus. J'ai trouvé, ici, sur une plage isolée de l'Est brésilien, une grande partie des réponses que j'étais parti chercher. Chacune de mes précédentes rencontres m'avaient mis sur la voie. Celle là, sous les traits d'un vieil homme, mélange entre Yoda, Bob Marley et Tyler Durden dans Fight Club, m'aura définitivement ouvert les yeux.
Quand je quitte la plage j'ai juste envie de prendre un avion et de rentrer chez moi. Comme une manière de dire au destin : j'avoue j'ai fuit, mais maintenant je suis prêt à rentrer et à faire face. Mais pas tout de suite, pas encore.
Car maintenant je ne cours plus après quelque chose avec l'absolue nécessité de la trouver pour légitimer ma décision de partir. Maintenant je sais pourquoi je suis parti, maintenant je sais pourquoi j'ai envie de revenir. 
Désormais je suis libre.

Pour l'anecdote, j'ai vérifié sur Internet si le mec disait vrai (il m'a donné son prénom & nom), et il m'a menti sur rien. True story.

Les écrits ci dessus ne sont qu'un bref résumé de toute notre conversation qui a duré presque 4 heures. Je n'ai pas pu tout écrire directement donc j'ai fait le reste de mémoire et j'ai surement oublié d'autres choses.

Ce que je retiendrai c'est qu'au delà des mots, j'ai réellement RESSENTI que quelque chose se passait. Quelque chose de différent qu'une simple conversation. Je n'irai pas jusqu'à parler de métaphysique mais ce n'est pas l'envie qui manque.
C'est comme si je me rencontrais moi, avec 40 ans de plus, avec la sagesse et l'expérience qui en découlent, capable d'expliquer à mon jeune moi ce qu'il faut faire et ne pas faire, comment il faut penser, comment il faut s'accomplir. Chacun de ses mots a trouvé en moi un écho comme jamais personne n'avait pu le faire dans ma vie entière.

3 commentaires:

  1. La qualité de ton écriture, l'acuité de ton regard, ce côté à la fois très descriptif et plein d'émotion m'impressionnent un peu plus à chaque fois. J'attends avec impatience la suite comme le lecteur d'un feuilleton attend le nouvel épisode. Ton art du récit me fait parfois penser aux carnets de route des grands écrivains anglo-saxons du milieu du XXème et je suis heureux que tu aies l'idée d'écrire un livre.
    Je t'aime
    Papa

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  2. Bonjour,
    je vais d abord me présenter et parler ensuite. Je suis le copain de lorraine depuis maintenant 7 mois et cette rencontre m'a emmené sur une autre, la tienne ou celle de ton blog en l'occurrence.Présentation faite je peux maintenant te dire que je suis un fervent lecteur de tes écris. J'aimerai te dire ou même crier haut combien ton dernier article m'a transcendé, la tragédie d'une écriture pure et dénué de faux qui hurle de sincérité. Je suis abasourdi et j'ai envie de pleurer, de te dire que la qualité de l'humain qui est ta personne m'est chère, et pourtant je ne t'est jamais vue.
    je ne te ferai l'éloge de l'émotion de ton écriture, je crois que ton papa m'a devancé. Alors merci.

    un confrère admirateur

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  3. Hola Saez , j'arrive pas a écrire autant que je joue du sax alor c'est juste pour te dire que je lis toutes tes aventures avec envie , je sais que tu le savais mais tu me connais , moi et ma manie de ne rien montrer!!
    Bizoux mon gros , tu nous manques!

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