15.12.10

En tete a tete avec moi meme ...

On voit chaque minute s'écouler comme autant de kilomètres avalés par ces bus que l'on prend et qui deviennent des hôtels de fortune.
On parcourt des distances qu'en France on ne voudrait même pas faire en train. Tel est le prix à payer pour découvrir toute l'étendue du monde.
On se rend alors compte qu'on n'est pas grand chose, que notre temps imparti est si court rapporté à la trop grande humanité.
Vous commencez à apprécier le plat qu'on vous amène déjà le dessert, espérant que le repas vous aura passablement comblé au moment de payer l'addition.

Je n'ai plus aucune notion du temps ou de l'espace. Les jours ne signifient plus rien, je n'arrive même plus à les compter. Bientôt 3 mois et j'ai déjà parcouru l'équivalent de la moitié de l'Europe. Qu'il me parait loin le temps où on pestait pour 30 minutes d'embouteillage boulevard du jeu de paume, clim à fond, Radio Nova en fond.
Qu'il est loin le temps où passer une journée à rien faire n'avait pas d'importance. Où vous pouviez dépenser en un McDo ce qui vous suffirait ici à être nourri et logé pendant 1 jour.
Où vous pouviez payer cette bouteille de vodka que vous n'appréciez même pas le prix que vous payeriez pour manger viande et légumes pendant 1 semaine dans une ville comme Macapa.

Comme on réapprend à se lever le matin comme pour se persuader pour la première fois qu'une journée dure bien 24 heures
Qu'entendre la voix de sa mère devient un exutoire alors que c'était à contre coeur que parfois avant vous aviez une discussion.

Quand vous vous rendez compte qu'être seul ne dépend que de vous, que les rencontres n'attendent qu'une initiative.
Quand une discussion autour d'une bière transforme de la compagnie en compagnons de route, le temps de traverser quelques villes.
Quand il n'est plus question de temps investi ou d'intérêt, mais seulement de vivre l'instant défait de toutes notions matérielles, de toute urgence temporelle.
Quand on réapprend à être indépendant affectivement, qu'on quitte ces compagnons pour en trouver d'autres le lendemain.
Quand vous vous couchez avec l'envie de rester, quand vous vous réveillez avec l'envie de partir, parfois l'inverse.
Quand les jours se transforment en noms de ville, les distances en heures de bus, que les lits deviennent des bancs, des sièges inclinables, des hamacs.
Quand le luxe revient à choisir la climatisation plutôt que le ventilateur.
Quand finalement vous n'y prêtez même plus attention
Quand vous regardez vos photos et constatez qu'elles ne représentent pas 10% de vos meilleurs souvenirs.
Quand vous vous surprenez à commander du poisson dans un restaurant juste parce que vous avez mangé riz et poulet midi et soir la semaine précédente.
Quand vous regardez en arrière et que vous semblez avoir tant vécu, et que vous n'avez même pas atteint la moitié de votre voyage. Vous qui réviez de faire le tour du monde réinterprétez maintenant la dose de courage et d'indépendance nécessaire à une expédition de cette trempe.

Comme chaque pas vous enfonce un peu plus loin dans l'inconnu, dans le monde extérieur comme intérieur.
Que vous vous remettez à penser à votre enfance, votre famille, vos copains de primaire, votre première boom et puis le premier bisou.
La première cuite, le premier joint, les problèmes, la lancinante descente qui vous a amené à partir.
Votre passion pour l'herbe toujours plus verte chez le voisin, et de ces temps pas si anciens où vous étiez si naïfs.
La solitude qui vous fait penser et ces pensées qui vous force à murir, comme forçant vos yeux à s'ouvrir un peu plus au fur et à mesure que le monde défile sous vos pieds.
Repenser à ces choses qu'on pensait si graves, celles qu'on jugeait presque mortelles, ces filles pour lesquelles on est devenu fou, celles qu'on a aimé puis insulté, qu'on a maudit à jamais mais dont on ne peut s'empêcher de penser à nouveau, oubliant le passé et imaginant un futur nouveau.

On repense à ces gens qu'on a laissé sur le bord du chemin et qui auraient pourtant sûrement avantageusement remplacé quelques livres dans votre sac à dos.
On repense à sa famille dont on a eu la prétention de dire qu'on ne l'aimait pas.
On repense à tous ces caleçons qu'on a laissé trainé par terre pour inconsciemment provoquer le conflit avec sa mère.
On repense à toutes ces fois où on a croisé ce père qu'on jugeait absent et on se rend soudain compte qu'on ne s'était jamais demandé pourquoi.
On repense à cette ignorance feinte stratégiquement, à ces heures passées à lire aux toilettes, parce qu'on était pas capable de parler.
On repense à ce frère et cette soeur qui ont eu l'air d'exister seulement quand j'ai compris qu'ils en étaient dignes.

Que j'ai pu être prétentieux.
Que cette intelligence a pu m'autopersuader de tant de choses qu'aujourd'hui je renie.
La maturité n'est pas une chose que l'on s'octroie de droit, ou comme récompense d'une rigueur mentale à toutes épreuves.
On comprend alors qu'elle s'apprend comme une leçon, se conquiert comme un territoire.
Elle vous adoube mais vous ne pouvez la ravir de force.

Je me rends compte aujourd'hui à quel point j'ai pu me tromper sur beaucoup de choses.
Comme j'ai pu me persuader qu'en me pensant infaillible je l'étais effectivement devenu.
Comme je voudrais pouvoir m'excuser auprès de certain(e)s.
Pas revenir en arrière, car j'aurais certainement refait les mêmes erreurs, ou d'autres. Non, j'espère juste améliorer encore et toujours ces fondations qui m'ont en définitif toujours fait défaut.

J'espère juste me souvenir de ça suffisamment longtemps pour que ça ait de l'influence.
J'espère juste que les messages envoyés à mon cerveau sont correctement analysés, interprétés, enregistrés et réutilisés.
J'espère que ce rêve n'en est pas un.
J'espère que cette magnifique reprise de Tracy Chapman que j'entends à l'instant ne me fera pas oublier l'original.
J'espère que le moi original ne sera pas oublié par l'actuel. Car tout n'était pas à jeter.

Je fais une mise à jour de moi même, j'espère que, comme ces nouvelles versions qui brillent de mille feux, je ne serai pas au final rempli de bugs, au moment d'en utiliser toutes les ressources.
J'espère ne pas avoir créer un nouvel ersatz de moi même, comme pour réussir à me leurrer une fois de plus.

Je suis tellement fasciné par ce que je peux produire, penser, écrire depuis quelques temps que je me demande si ça avait toujours été là où si, à la manière de ces autistes, le choc a été tellement puissant que j'ai commencé à utiliser de nouvelles parties de mon cerveau.

J'aimerais que toute cette magie, toute cette inspiration ne me quitte jamais.
J'aimerais écrire des milliers de pages en ayant toujours quelque chose à dire, un message à faire passer, un style qui m'est propre.
J'ai tellement peur que tout s'arrête, qu'une fois la distance annihilée je redevienne le procrastinateur professionnel que j'aimais tant être.
Je suis tellement touché par tous ces compliments, par toute l'attention que ces écrits et ces photos suscitent que je ne peux plus faire autre chose.

Ce livre, il faut que je l'écrive, ces photos il faut que je les prenne.
Après la musique j'ai trouvé deux nouveaux moyens de communiquer, mais pour ceux là je n'ai pas à prendre de cours, pas à faire de gammes pendant des heures, pas de répétitions.
J'ai l'impression de pouvoir juste poser un stylo sur du papier et le reste coule de source.
J'ai juste à poser un doigt sur un bouton, à viser dans l'objectif, et l'essentiel est fait.
Les choses les plus instinctives sont souvent celles qui vous touchent le plus.
Peut être que c'est cette simplicité qui touche.
Je ne m'embarasse plus de fioritures, de faire semblant, de principes.
Je laisse libre cours à mon propre style sans bien savoir s'il existe.

J'écris ma propre histoire, il n'y a rien de plus simple en fait.
Comme l'a dit le vieux sage de Pipa, les mots deviennent des phrases, les phrases des histoires, les histoires des livres.
Il n'y a pas de mauvaise autobiographie, peut être seulement des mauvaises vies ou de mauvaises manières de les raconter.
Je n'entoure plus la mienne de guirlandes, en attendant que le Père Noël vienne y apporter sa bénédiction.
"L'honnêteté est la clé de tout"
Pour être intéressants soyez honnêtes.
Les masques finissent toujours par tomber et ceux qui les rattrapent sont en général déçus de voir la vraie face de leur ancien propriétaire.


Et puis après ce pavé, des nouveaux panoramas pour se vider la tête. (n'hésitez pas à les agrandir, la résolution n'est pas celle d'origine, mais ça devrait être pas mal quand même...)
Bien à vous, messieurs, dames.







A suivre, les aventures à Salvador et Chapada Diamentina, une petite photo de Pipa, et les premières photos de la Chapada...

3 commentaires:

  1. au travers de ces mots, ces phrases, tu nous transportes... j'en perds mes mots mais vraiment incroyable la façon dont tu retranscris tes émotions, sentiments.. continues dans cette voie!

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  2. N'ayant pas cet facilité déconcertante pour écrire, je dirais simplement qu'il suffit de lire pour tout comprendre...
    C'est superbe!
    Bisous je pense à toi. (Greg)

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  3. Personne tenant à toi ressortira indemne de ton voyage pas si solitaire qu'il y parait. L'interaction des sentiments procède parfois de quelque chose qui ressemble à de la magie. Et qui sait si ce qui se met en place aujourd'hui ne s'est pas construit tout au long des chemins parcourus.
    Je t'embrasse

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